Diagonal

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Deux mots qui se complètent sans l’avoir voulu.

Le diaconal renvoie au diacre, le diakonoï, du grec serviteur, mot qui a pour préfixe « dia » signifiant à travers donc transversal.

La diagonale fait référence à l’oblique, entre horizontalité et verticalité, à mi-chemin entre les deux, entre immanence et transcendance, entre humain et divin, entre Eglise et monde. Ainsi le diacre porte-t-il l’étole de travers, en diagonale.

Le diacre est un pur produit de la Nouvelle Alliance. Il apparait dans les Actes des Apôtres, au chapitre 6. Rien de semblable dans l’Ancien Testament si ce n’est le serviteur d’Isaïe, préfiguration du Christ serviteur.

Les sept diacres émanent de l’intervention des douze apôtres, institués sous la mouvance de l’Esprit, pour le service des femmes veuves et qui portent des noms hellénisés, ce qui les différencient des douze choisis par Jésus, tous juifs.

En quoi cela nous importe-t-il aujourd’hui ?

Le diacre exerce sa diaconie dans la sexualité de son mariage ; dans la fécondité de sa paternité ; dans son travail au service des autres ; dans tous ses investissements sociaux, ecclésiaux, économiques et culturels.

Une question peut soulever bien des observations ou des réactions : est ce que l’Eglise a besoin des diacres et la deuxième qui lui est connexe, est ce que la monde a besoin des diacres ? Les deux sont pertinentes.

L’Eglise a-t-elle besoin des diacres ? La croix.

L’instauration du diaconat par le Concile Vatican II vient bouleverser le paysage.

Comment ? Revenons au diagonal, au transversal.

Elle remet en cause la structure même de l’Eglise telle qu’elle se pense ou est pensée en une structure pyramidale, en la personne du Christ à la tête de l’édifice et de la hiérarchie. A la croix dans sa forme verticale et horizontale, le diaconat vient offrir une perspective transversale. Une perspective qui n’est pas représentée matériellement sur la croix, mais physiquement par le diacre. Ce décalage de quelques degrés d’une ligne comprise entre l’horizontal et le vertical, une ligne virtuelle mais réelle ouvre un espace entre les deux dimensions.

La structure s’en trouve bouleversée parce que le centre, le point de convergence, n’est plus dans l’origine de la verticalité mais dans la rencontre entre le vertical, le transversal et l’horizontal. Le point focal est le Christ au centre même de la croix, au point de rencontre de ces trois dimensions.  Et cela change la perspective de l’ecclésiologie. Le Christ est au centre même de la croix, au centre même de l’Eglise, au point de convergence horizontal, transversal et vertical. Du centre, il rayonne dans toutes les directions comme il attire à lui tous les horizons. Cette interprétation de la croix ne remet pas en cause le Christ-tête de St Paul mais elle favorise plus le Christ-cœur de l’Eglise. Et de ce fait il est au centre même du monde. La transversalité, la verticalité et l’horizontalité le traversent comme ferait une irradiation et convergent en lui comme ferait une aimantation. Cette mise en représentation de la croix, donc du Christ, peut sembler théorique, esthétique mais en fait elle conditionne les relations entre les ministères. Ceux-ci ne sont plus inscrits dans une succession linéaire, hiérarchique, à l’image d’une société humaine mais ils émanent du centre même de la croix, du cœur du Christ, à l’image du Royaume dont le seul centre est le Christ.

Cette troisième branche de la croix, non matérialisée, peut passer pour artificielle, mais par sa dénomination diagonale elle comporte en elle cette transversalité qui fait d’elle un intermédiaire, un entre deux, un à travers, entre verticalité et horizontalité. Cela fait d’elle une ouverture à la diversité, à la pluralité dans l’unité du Christ.

Alors maintenant, est ce que l’Eglise a besoin du diaconat ? La question est posée au sens où le mot besoin contient l’actif, le faire. Dans sa structure même, la croix reçoit une autre dimension et l’Eglise un enrichissement dans son être. La diaconie est inhérente à l’Eglise depuis sa fondation, depuis les tous débuts de l’Eglise primitive. Donc la question ne se pose pas en soi, les sept diacres sont de fait à l’origine de l’Eglise tout comme les douze apôtres. Ils se reçoivent du Christ à travers les douze, ils se reçoivent de l’Esprit par les douze. « …sept hommes remplis d’Esprit…et nous les chargerons de cette fonction. » Actes, chapitre 6.

Être présents à l’origine rafraîchit la mémoire de l’Eglise qui a occulté cette dimension diaconale et transversale pendant des siècles, perdant de ce fait une composante de sa constitution et une dimension de sa vie. Et ce n’est pas parce qu’elle avait perdu un temps sa diaconie en tant que telle que la diaconie a disparu. Constitutive de son existence, elle réapparut au moment choisi par l’Esprit. Mais elle n’a jamais cessé d’être. Ce qui peut paraître nouveau à nos yeux contemporains ou passer pour une renaissance n’est en fait qu’une continuité.

Alors, le besoin du service s’est fait sentir depuis l’origine et fut réalisé en une disposition concrète. En reprenant le symbole de la croix, la transversalité s’est traduite par une mise à disposition des sept au service de la verticalité : « il ne convient pas que nous délaissions la Parole de Dieu pour le service des tables. Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes…Quant à nous, nous continuerons à assurer la prière et le service de la Parole. » La verticalité étant la Parole de Dieu servie par les douze.

La transversalité des sept se met au service de l’horizontalité, représentée par les veuves des Hellénistes, « parce que leurs veuves étaient oubliées dans le service quotidien. » On voit bien alors que la transversalité de la diaconie se place entre l’horizontalité humaine et la verticalité de la Parole de Dieu.

« Les Hellénistes se mirent à récriminer contre les Hébreux… » A ceci, on voit bien également que la diaconie des sept se place en travers d’un conflit qu’elle vient résoudre aidée en cela par le discernement et l’entremise des douze. « Les douze convoquèrent alors l’assemblée plénière des disciples… »

A partir d’un besoin intra-ecclésial, la diaconie s’expanse, se dilate aux dimensions du monde. « Des Hellénistes…leurs veuves…on choisit Etienne…Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d’Antioche… » Par leurs noms d’origine grecque, les sept sont des personnes venant de l’extérieur d’Israël, hors de la tradition juive, au service des veuves hellénistes. Ce faisant l’Eglise montre déjà son visage cosmopolite, ouvert sur le monde, s’ouvrant à la diversité culturelle et ethnique.

Ensuite elle s’invente un nouveau service, le service des veuves, des femmes, soucieuse de leur apporter une aide, d’être à l’écoute de leurs préoccupations. En leur prêtant attention, elle montre un visage d’humanité, représenté par sept hommes au service des femmes. Cette mixité n’est certainement pas nouvelle, mais elle prend un aspect institutionnel qui augure de la place des femmes au sein des communautés chrétiennes.

Tout cela servi par la transversalité des sept. « On les présenta aux apôtres, on pria et on leur imposa les mains. » Ce « on » exprime avec force l’ensemble de l’assemblée, « cette proposition fut agréée par toute l’assemblée » avec, parmi elle, les douze, « les apôtres ».

Institués entre la verticalité, « on pria et on leur imposa les mains » et l’horizontalité, « on les présenta », les sept sont les serviteurs d’une dimension nouvelle, « le service quotidien » qui rappelle fortement « le pain quotidien » du Notre Père. Dans quotidien, il est loisible d’entendre le jour le jour, l’ordinaire, le basique, dirions-nous aujourd’hui, l’humain dans ses besoins les plus élémentaires. « Leurs veuves étaient oubliées » rappelle avec insistance les propos de notre pape François qui demande de ne pas s’habituer à entendre les appels du monde dans l’indifférence, à ne pas oublier.

Le monde a-t-il besoin des diacres ? La table.

« … Le service des tables. »

Comme tout part de la croix, tout part de la table, la table eucharistique. Comme pour la croix, le diacre n’est pas en situation centrale à table mais en position latérale, transversale. Là encore, il apparait de côté, à mi-chemin entre l’assemblée et le célébrant. Il a ce rôle d’intermédiaire entre elle et lui, entre le peuple de Dieu et le prêtre. Intermédiaire, trait d’union, il remplit cette fonction en raison de son appartenance au peuple par beaucoup de facettes de sa vie et de son appartenance à l’Eglise par son ordination diaconale.

Sans hésitation, oui, le monde a besoin des diacres, même s’il ne le sait pas. Le service des tables n’est pas spécifique à l’Eglise, il recouvre toutes les couches sociales, tous les milieux professionnels, tous les besoins vitaux et en particulier l’alimentation. Des organisations non gouvernementales et des agences onusiennes s’y emploient également.

Certains l’ont bien compris, qui l’on dévoyé en assujettissant la terre à un régime de production industrielle à grande échelle, en convertissant l’agroalimentaire en agrobusiness, en spéculant sur les cours des céréales ou sur les prix des viandes, en transformant le cheptel en minerai consommable. Ils ont dépossédé le peuple des campagnes, ils ont défiguré les terres jusqu’à l’épuisement des sols, ils ont transformé l’aliment en nutriment.

Ceux-ci sont les maîtres des enjeux commerciaux et environnementaux autour de la nourriture. En tenant les semences ils tiennent l’avenir du monde dans leurs mains. Les cours et les bourses leur importent plus qu’une famine, qu’une disette. Les futurs conflits à propos de l’eau sont déjà en germe entre pays.

Alors qu’apporte la transversalité diaconale dans ce tableau mondial ? Elle s’associe aux mouvements alternatifs pour un monde autre. Le diacre ne peut pas être étranger aux difficultés du monde. Il agit avec d’autres pour que ce monde soit habitable et vivable. Il répond à l’appel du Christ et à l’appel de son Royaume

Le service des tables est un service. Servir à table implique un état d’esprit, une disponibilité : « sept hommes de bonne réputation, remplis d’Esprit et de sa gesse…plein(s) de foi et d’Esprit Saint… »
Ce service nait à partir d’un conflit, « les Hellénistes se mirent à récriminer », suggérant que le service des tables est aussi celui de l’unité lorsqu’il y a discorde.

« Les douze convoquèrent l’assemblée… cherchez… cette proposition fut agréée par toute l’assemblée : on choisit… » Il nait de la volonté de l’assemblée, correspondant à un besoin global pour tous : en ce qui concerne les douze, de ne pas délaisser la Parole de Dieu et la prière, et en ce qui concerne l’assemblée, de ne pas oublier les veuves.

« Nous les chargerons de cette fonction… on les présenta aux apôtres, on pria et on leur imposa les mains. » Les sept sont consacrés à cette fonction par les douze. Ils ne se l’attribuent pas d’eux-mêmes, ils la reçoivent sur un discernement de l’assemblée et l’imposition des mains par les douze.

« Il ne convient que nous délaissions la Parole de Dieu…Quant à nous, nous continuerons à assurer la prière et le service de la Parole. » Le service des tables nait de la différentiation des besoins et des tâches et il permet aux douze d’être ce pour quoi ils ont été institués. « Quant à nous » disent les douze, de sorte qu’un partage des fonctions s’impose, ainsi qu’une certaine mise à part.  « Cherchez parmi vous… » pour signifier que le service des tables requiert sept hommes issus de l’assemblée pour un service distinct de celui de la prière et de la Parole de Dieu.

« Service des tables… service de la Parole de Dieu » Les deux sont appelés service. Que ce soit la table ou la Parole de Dieu, il s’agit de servir une seule et même personne, le Christ, à travers sa Parole et ses fidèles.

« Rempli d’Esprit… homme plein de foi et d’Esprit Saint… on leur imposa les mains. » Le recours à l’Esprit saint ou bien la présence de l’Esprit affleure dans cet évènement. Il y a du baptême en tant qu’inauguration d’un service nouveau et de la Pentecôte par la présence d’une communauté grandissante, « le nombre des disciples augmentait considérablement… » Actes 6, 7.

Oui, le monde a besoin du service des diacres qui nait d’une tension entre hellénistes et Hébreux, les veuves étant un aspect collatéral dans ce conflit comme l’explique la note de la Traduction Œcuménique de la Bible. « En ces jours-là, le nombre des disciples augmentait et les Hellénistes se mirent à récriminer contre les Hébreux… » Actes 6, 1. Deux communautés s’affrontent au sein de l’assemblée, ce qui met à mal la communion de l’Eglise. Mais on a bien, face à face, deux populations, l’une autochtone et l’autre allochtone, l’une du pays et l’autre de l’étranger. Le monde s’invite à la porte de l’Eglise assemblée à Jérusalem.

La diaconie répond à ce défi d’une ouverture au monde avec ses tiraillements.

Alors la question qui se pose immédiatement est celle-ci, en quoi le diacre y apporte-t-il une réponse ? Qu’est ce qui fait la spécificité de sa réponse ?

C’est justement cette transversalité qui le fait appartenir au monde et à l’Eglise du Christ. Elle est bien illustrée par ces mots : « cherchez parmi vous… et nous les chargerons de cette fonction. »

« Parmi vous », c’est-à-dire dans le peuple de l’assemblée et « nous les chargerons », nous les douze, choisis par le Christ, colonnes de l’Eglise.

Cette transversalité lui donne un regard différent, une appréciation autre par son mariage, avec épouse et enfants, par son travail avec collègues et collaborateurs, par ses implications dans le tissu social et associatif. Il apporte un éclairage et une présence alternative au sein de l’Eglise.

Le 8 décembre 2022. Jean Luc Samuel.


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